Journée d’études "Représentation du corps humain"

, par Béatrice Jaffre, Gildas Morin, Marine Pillaudin, Mélie Jouassin

ÉTUDIER LA REPRÉSENTATION DU CORPS HUMAIN

Journée d’étude et ateliers pédagogiques au Centre Georges Pompidou - Janvier 2025

Formation interdisciplinaire et inter-degré pour l’académie de Versailles.

L’organisation de cette journée dédiée à l’enseignement de l’Histoire des Arts (HDA) s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’évolution de cet enseignement et le soutien apporté aux enseignants. Cette initiative de l’inspection pédagogique régionale d’Histoire des arts vise à répondre aux besoins spécifiques des professeurs d’HDA, en leur offrant des contenus scientifiques et universitaires adaptés à leur pratique.

L’objectif principal est de doter les enseignants d’outils et de connaissances leur permettant de :

  • Rendre accessible l’étude de toutes les œuvres, quelle que soit leur nature ou leur complexité
  • Anticiper les questions et réactions que peuvent susciter les œuvres auprès des élèves, afin de mieux préparer les séances et favoriser les échanges
  • Aborder les questions vives et signifiantes posées par des démarches artistiques singulières, en intégrant des perspectives anthropologiques, culturelles et sociologiques
  • Articuler l’enseignement avec l’actualité culturelle, notamment en faisant le lien avec les expositions en cours

Cette approche s’inscrit dans la continuité des réflexions menées depuis l’introduction de l’enseignement de l’histoire des arts dans les programmes scolaires en 2008 pour le primaire et 2009 pour le secondaire. Elle vise à renforcer la dimension interdisciplinaire de cet enseignement, en encourageant le croisement des regards portés par différentes disciplines sur les mêmes œuvres, afin de favoriser une culture commune.

Conscients des défis que représente cet enseignement pour les professeurs, nous avons cherché à fournir des ressources et des méthodes pour enrichir les pratiques et stimuler l’intérêt des élèves pour les arts dans toute leur diversité.
Nous vous souhaitons une bonne lecture des contenus et ressources associées à cette journée de formation.

Gildas Morin et Marine Pillaudin, IA-IPR en charge du suivi de l’HDA.


NU, NUDITÉ, ÉROTISME, PORNOGRAPHIE / Claire Maingon
Maîtresse de conférences en Histoire de l’art contemporain XIXe-XXIe siècle à l’université de Rouen, Directrice de la rédaction de la revue Sculptures, autrice de plusieurs ouvrages sur la relation entre art et érotisme.

L’intervention de Claire Maingon explore la représentation du nu et de la nudité dans l’histoire de l’art, en mettant en lumière les conventions artistiques, les jugements moraux, et les ambiguïtés érotiques qui entourent bon nombre d’œuvres du XIXe siècle, entre autres.

À partir d’exemples connus et reconnus dans l’Histoire de l’art, Claire Maingon opère une distinction entre nu et nudité. Le nu est une convention artistique codifiée depuis l’Antiquité : les « venus pudica » et athlètes grecs en sont la parfaite incarnation. Tandis que le nu masculin est héroïsé, le nu féminin est pudique : l’attitude du personnage ne suggère aucune érotisation : le regard est détourné, la main couvre le sexe ou les seins. Le corps idéalisé ne pose pas de problème, car le sexe n’y occupe que la place d’un détail anatomique. Les Vénus sont d’ailleurs glabres et leur sexe ne présente pas de fente. La nudité, en revanche, aborde des thèmes comme l’amour, l’érotisme et la sexualité, suscitant souvent des controverses et réactions vives. Toutefois, il existe une porosité entre le nu et la nudité, car l’ambiguïté dans le nu est un élément essentiel pour susciter le regard du spectateur. Elle réside ainsi dans la manière dont le personnage est dénudé, déshabillé, et dans son attitude. Enfin, si l’érotisme se situe dans l’évocation et des détails secondaires, la pornographie montre explicitement l’acte sexuel.
Le XIXe siècle est marqué par une tension entre moralité stricte et fascination pour l’érotisme. Ainsi, La Danse de Carpeaux (1865-1869) fut jugée scandaleuse pour ses nus féminins en mouvement qui renvoyaient davantage à une Bacchanale qu’à une danse. Jean-Léon Gérôme, feint la morale dans Phryné devant l’aréopage (1861). Phryné est accusée d’impiété et devant le tribunal, pour garantir la bonne foi de sa cliente, son avocat la dévêt intégralement car le dévoilement du corps parfait garantit le fait que la cliente est morale : le beau est toujours moral selon les valeurs antiques. En dévoilant son corps, elle est absoute de ses fautes alors qu’il s’agissait d’une courtisane. Le peintre joue ainsi sur sa fausse pudeur. Ce n’est pas pour rien si Edgar Degas considèrait cette œuvre comme pornographique. La Femme piquée par un serpent de Clessinger (1847), moulée sur le corps de la maîtresse de Baudelaire, Mme Sabatier, représente sans doute la jouissance d’une femme traversée par un spasme de plaisir tandis que l’Olympia de Manet subvertit les codes du traditionnel nu allongé avec une courtisane moderne au regard provocant. Manet est-il un peintre érotique ? S’il respecte les codes de la représentation pudique dans Olympia en reprenant le motif de la Vénus allongée et en proposant une anatomie parfaite et plutôt allusive, Olympia renvoie à un nom de courtisane courant au XIXe siècle : le contexte donne un pouvoir subversif à cette œuvre. Les draps, les coussins, le lit bouleversés, le rideau dévoilant la la scène, le bouquet de la servante, autant d’éléments qui dénotent le thème prostitutionnel et l’ambiguïté du type social représenté : une femme très jeune dans une maison close assez chic, qui lance un regard de défi plutôt qu’une invitation. L’absence de coquetterie assimile ce tableau tout autant à une scène sociale qu’à un moment érotique. Paradoxalement, des figures habillées sont parfois plus franchement érotiques que certains nus : Manet rompt avec le prétexte mythologique et propose des nus réalistes, comme Nana. Le jupon de Nana et la présence du client dans l’espace intime de la chambre s’annoncent comme les prémices de l’acte sexuel. L’oeuvre sera d’ailleurs refusée au Salon, et exposée dans la vitrine d’un magasin du boulevard des Capucines. Baudelaire et les Frères Goncourt seront également taxés de pornographes car, dans leurs ouvrages, ils ont évoqué l’univers de la prostitution.
Mais l’érotisme n’était-il pas présent dans les œuvres antiques dont les artistes modernes s’inspirent ? Ainsi l’Olympia de Manet est une relecture de La vénus d’Urbino du Titien (1538) qui, elle-même, contient un érotisme subtil. Daniel Arasse dans Histoires de peinture qualifie cette vénus de « pin-up de la Renaissance ». Son geste délicat, la main gauche cachant son pubis, a souvent été interprété comme un geste masturbatoire. Or, au XVIe siècle, toute une littérature médicale s’est développée sur la nécessité de la masturbation féminine pour favoriser la procréation et la fécondation. La naissance de Vénus de Botticelli dont le modèle aux allures marmoréennes est une « venus pudica » incarnant l’innocence et la beauté, possède également des caractéristiques secondaires érotiques telles que la chevelure déliée. Le peintre respecte le code moral tout en suggérant l’érotisme : si la Vénus est nue car elle vient de naître, une boucle de cheveux, savamment placée devant son sexe, évoque le coquillage qui, lui-même, est une métaphore du sexe. Aby Warburg parle de « caractéristiques secondaires de sauvagerie », les cheveux renvoient à la folie et au désordre des Bacchantes : les poils, les cheveux évoquent le côté sauvage, sexuel et indomptable du corps. Derrière une apparente candeur, se situe l’érotisme et selon Kenneth Clark, un nu doit contenir une certaine ambiguïté érotique pour émouvoir le spectateur. L’érotisme peut également se situer dans des représentations sans corps humain comme le fera Eugène Delacroix avec son Lit défait daté de 1825. Le mobilier porte les traces de l’acte sexuel et, malgré l’absence du couple qui y partagea un moment, le lit nous transporte du côté de l’intime. Ceci peut être mis en relation avec les métaphores du mobilier que l’on trouve dans Le verrou de Fragonard. Si la jeune fille semble se refuser, tout dans le décor environnant nous parle de l’acte sexuel à venir : mise en scène phallique du rideau et des draps évoquant des jambes écartées. Le Sopha, nouvelle de Crébillon publiée en 1742 aux allures orientales explorait déjà, en son temps, le désir et l’amour. Un homme transformé en sofa (le narrateur) raconte les couples qu’il a accueilli et vu s’aimer jusqu’à l’apothéose d’une jouissance qui libère le narrateur de l’enchantement et lui rend sa liberté.

L’histoire du nu dans l’art oscille entre conventions esthétiques et transgressions érotiques. Les artistes utilisent ambiguïtés et symboles pour naviguer entre pudeur et provocation, questionnant ainsi les normes sociales de leur époque.
Support de l’intervention

Ouvrages de l’intervention
 ARASSE Daniel, Histoires de peinture, 2004, (1ère édition).
 WARBURG Aby, La Naissance de Vénus et le Printemps de Sandro Botticelli, 1983 (1ère édition).
 CLARK Kenneth, The Nude : A Study in Ideal Form, 1956 (1ère édition)

Publications de Claire Maingon
 Scandales érotiques de l’art, Beaux arts édition, 2016.
 Les chefs-d’œuvre du patrimoine érotique ; peintures, sculptures, décors, lieux, monuments..., Beaux arts édition, 2019.
 L’œil en rut : art et érotisme en France au XIXe siècle, Beaux arts édition, 2021.
 Co-directrice de rédaction avec Thierry Dufrêne, Sculptures (revue). Découvrir
 Podcasts France Inter :

LA SCIENCE ANATOMIQUE DU CORPS HUMAIN / Yohan Lacroix
Professeur d’anatomie et de morphologie aux Gobelins, coordinateur du parcours lycéens aux Ateliers Gobelins.

L’étude de l’anatomie humaine a évolué à travers l’histoire, influencée par des médecins et artistes célèbres. L’intervention de Yohan Lacroix revient sur les différentes étapes qui ont jalonné ce parcours   : observation, dissection, publication de manuels à l’usage des médecins puis des artistes jusqu’aux progrès de l’imagerie médicale au XXe et XXIe siècles.

De l’Antiquité au Moyen Âge, la figure de Galien se distingue, médecin des gladiateurs, il met à profit son métier pour observer les blessures et progresse ainsi dans la connaissance du corps. Au XIIIe siècle, les dissections sont encouragées par la religion car découvrir le corps humain permet de mieux comprendre le divin. À Bologne, on assiste à la création des premiers théâtres de dissection, on se sert des condamnés à mort pour effectuer les dissections. La science a alors besoin de corps et une mafia se développe en Europe quand il y a pénurie de corps, des groupes faisaient des rondes et tuait des gens en fin de vie. L’activité s’avérera très lucrative car la demande de corps entraîne l’essor de ce marché noir. Du XIVe au XVIe siècle, c’est la période des progrès majeurs. Léonard de Vinci représente cette période qui concilie observation et avancée médicale. Il dissèque une trentaine de corps et s’intéresse au corps médical mais il n’aura toutefois pas le temps de finir son ouvrage d’anatomie. Dans son sillage, Michel-Ange assiste aux cours de De Vinci, il développe une approche artistique des os et muscles. Au XVIe siècle, le savoir voyage par le biais de l’imprimerie. Ainsi, les gravures anatomiques de Vésale circulent en Europe et contribuent à enrichir les connaissances des artistes. Puis, les XIXe et XXe siècles se caractérisent par des innovations médicales et artistiques. Tout d’abord, au XIXe siècle, les rayons X apparaissent tandis que les femmes sont progressivement intégrées aux Beaux-Arts. Enfin, au XXe siècle, on assiste à une révolution de l’imagerie médicale avec l’apparition des scanners 3D et radiographies en mouvement.

Fort de ses connaissances, les artistes puisent dans l’imagerie médicale et les savoirs liés à l’anatomie ainsi qu’à la morphologie pour pousser, plus loin, le degré de réalisme dans leurs créations.

Support de l’intervention

Découvrir le travail de Yohan Lacroix

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